Voile de calice en tapisserie orné des Arma Christi

Voile de calice en tapisserie orné des Arma Christi

Description

Le thème iconographique des Arma Christi ou instruments de la Passion du Christ est ancien comme en témoigne par exemple le Psautier d’Utrecht, datant du IXe siècle. Toutefois, à la fin du Moyen Âge, la Peste noire (1347-1352) qui décima près de la moitié de la population européenne a entraîné le développement du thème de « Jésus, homme de douleur », représenté le plus souvent en buste, le corps et le visage couverts de plaies sanglantes et entouré de ses armes. Ici la figure du Christ est absente mais les éléments en tapisserie témoignent de toutes les étapes de sa Passion, son arrestation, son procès, sa crucifixion et sa mise au tombeau. Les principaux épisodes sont décrits dans les Évangiles canoniques. D’autres, comme le miracle du voile de sainte Véronique, sont relatés dans les Évangiles dits « apocryphes », riches en détails concernant la vie du Christ ou de la Vierge Marie, largement diffusés. La composition générale fonctionne comme un triptyque, avec sur le volet gauche la Sainte Face apparue sur le voile de Véronique qui rappelle la montée du Christ à son lieu de supplice et sur celui de droite, la tunique inconsutile imprégnée de la sueur du Christ et de son sang, surmontée par l’aiguière ayant permis à Ponce Pilate de décliner symboliquement toute responsabilité dans sa condamnation à mort. Sur le panneau central, se déploient autour du cœur et de la croix sur quatre registres sans respect de chronologie, d’autres Arma Christi selon une disposition qui rappelle celle des écus ou des blasons, à ceci près que la composition prend place en pleine nature, évoquant un contexte eschatologique et plus particulièrement paradisiaque. Chaque élément est ici symbolique et représenté selon une convention qui perdure au fil des siècles sur tous types de supports. Seuls le nombre de ces Arma Christi et leur agencement peuvent varier d’une œuvre à l’autre. Néanmoins, la croix, le premier des instruments de la Passion, occupe toujours le centre de la composition. Elle porte le titulus du Christ, l’écriteau énonçant le crime pour lequel il a été condamné : INRI, « Jésus de Nazareth, roi des Juifs ». La croix, fleurdelisée sur trois de ses extrémités est érigée sur un cœur enflammé dans lequel est inscrit le monogramme du Christ IHS en lettres gothiques minuscules. Il a été largement diffusé au XVe siècle par les Franciscains qui l’adoptèrent sous l’impulsion de saint Bernardin de Sienne (1380-1444), auteur notamment d’un sermon sur le nom glorieux de Jésus, sauveur des hommes. La croix et le cœur surmontent tous deux le sépulcre du Christ, qui adopte ici la forme d’un autel. Au somment de la composition, l’inscription O + [crux] ave, spes unica finit d’insister sur cette espérance de salut en ces temps tragiques d'épidémies. Elle est extraite de l’Hymne à la Croix, attribué à Venance Fortunat, évêque de Poitiers entre 600 et 609, chanté traditionnellement pendant la Semaine Sainte, saluant la croix, unique espérance qui sauve et guérit. Au registre inférieur, les trois dés superposés rappellent qu’après avoir crucifié Jésus, les soldats se partagèrent ses habits, dont la tunique sans couture, en les tirant au sort. Le vase situé à côté évoque la myrrhe et l’aloès apportés par Nicodème afin de procéder à l’embaumement du corps du Christ, ou les femmes Myrrhophores découvrant son tombeau vide le matin du troisième jour. À droite du tombeau, on trouve la lanterne des soldats et des gardes venus procéder à l’arrestation du Christ. La trahison et le repentir de Judas sont évoqués au registre suivant par la bourse et les trente pièces d’argent qu’il a rendues au grand prêtre en les jetant dans le Temple, selon l’Évangile de saint Matthieu, avant de se donner la mort. À côté, la main gantée rappelle que Jésus a été giflé par les gardes pour corriger son impertinence face au grand prêtre qui le questionne sur son titre de roi des Juifs. L’épée renvoie, elle, à son arrestation, lorsque Pierre coupa l’oreille droite de Malchus, serviteur du grand prêtre, venu appréhender le Christ. De part et d’autre de la croix, on trouve l’échelle de la déposition du Christ, la lance de Longin qui lui transperça le flanc, les fouets de la flagellation, l’éponge imbibée de vinaigre par Stéphaton, la colonne de la flagellation et le coq du triple reniement annoncé de saint Pierre. Au registre supérieur, on reconnaît à gauche du montant de la croix, les trois clous qui ont servi à supplicier le Christ sur la croix et de part et d’autre, le soleil et la lune, rappelant qu’à la sixième heure du jour, c’est-à-dire, à midi, le soleil s’obscurcit de manière inquiétante pendant plus de trois heures. Le décor dans sa disposition, ses dimensions et la présence des lisières, montre que l’œuvre a été conçue dès le départ comme un voile de calice et qu’il ne s’agit pas de fragments réemployés comme ce fut quelquefois le cas pour ce type d’objet. La tapisserie est réalisée entièrement en fils de soie et filés métalliques dorés et argentés. Elle a certainement été réalisée dans un atelier spécialisé, probablement en Europe du Nord, compte tenu de l’emploi de la minuscule gothique. Le Metropolitan Museum of Art conserve une tapisserie (inv. 52.34) également décorée des Arma Christi sur fond de verdure produite dans les Pays-Bas méridionaux entre 1475 et 1550, attestant de la fortune de cette iconographie sur un support aux dimensions bien supérieures, près de 112 cm de haut sur 211 cm de long. Enfin, ce voile de calice, au vu de son iconographie et de la préciosité de ses matériaux, a pu être réservé aux célébrations pascales, même si chaque eucharistie, tout au long de l’année, commémore le sacrifice du Christ. L’œuvre a été acquise à la vente de la collection de M. Benoist Hochon à Paris, les 11 et 12 juin 1903 sous le numéro 221, en même temps qu’une croix de chasuble en samit façonné et rebrodé, numéro 182, produite à Cologne au cours du XVe siècle (inv. MT 27211) et que deux carrés en broderie de soie de couleur et d’or, réalisés à Florence à la fin du XIVe siècle, le numéro 164, représentant le baptême de sainte Marie l’Égyptienne (inv. MT 27209) et le 165, figurant deux moines sous une architecture (inv. MT 27210). Claire Berthommier