Laize de velours chiné à la branche pour le Salon de Terciopelos de la Casita del Principe

Laize de velours chiné à la branche pour le Salon de Terciopelos de la Casita del Principe

Description

La laize, dont le musée des Tissus conserve un autre exemplaire (inv. MT 44349), fait partie d’un meuble commandé par le Prince des Asturies (le futur roi Charles IV d’Espagne) livré en 1788 pour le Salon des Velours (Salon de Terciopelos) de la Casita del Principe au Palais du Pardo. La commande en elle-même n’est malheureusement pas documentée dans la correspondance échangée par Camille Pernon (1753-1808) avec François Grognard, son représentant en Espagne, conservée à la Bibliothèque municipale de Lyon. Mais cette correspondance est incomplète, et c’est probablement vers la fin de l'année 1787, peu de temps après l’arrivée de Grognard en Espagne, qu’il faut situer cette commande. Les étoffes étaient livrées en 1788. Elles sont encore en place au Salon de Tiercopelos de la Casita del Principe. La nature du dessin à décor ondulant de draperies, bouquets et oiseaux, et la rapidité de la livraison indiquent sans doute qu'il s'agit d'une étoffe créée antérieurement, dont Camille Pernon disposait peut-être ou dont il pouvait assurer la fabrication avec la célérité exigée par l'opportunité que lui ouvrait la présence de François Grognard à la Cour d'Espagne.  Cette commande est particulièrement représentative de l’excellence du travail de la maison Pernon sous le règne de Louis XVI. Les velours chinés « à la branche » sont parmi les étoffes les plus complexes à exécuter. Le travail du chineur est réalisé sur les fils de la chaîne poil du velours. Sur la hauteur de la chaîne poil, le dessin est calculé en fonction de l'embuvage dû au tissage du velours. La nappe de fils de chaîne poil est divisée en « branches », ou groupes de fils, qui sont ligaturés afin de ne réserver que la partie destinée à être teinte pour former le motif, le reste du fil étant protégé de la teinture. La partie destinée à être teinte s'appelle une « prise ». On réserve autant de prises qu'il est nécessaire de faire intervenir la même couleur sur la hauteur d'une même branche. L'opération est ensuite répétée, autant de fois qu'il y a de couleurs constituant le dessin, pour chaque groupe de fils ou branche. Quand les branches ont toutes été préparées, les chaînes, pièce et poil, peuvent être montées sur le métier. Les branches de la chaîne poil sont alors montées dans l'ordre qu'impose le dessin par la juxtaposition des différentes prises, teintes dans des couleurs variées. Le nombre élevé de couleurs sur ce chiné ainsi que la complexité du motif, des compartiments dessinés par des rubans où alternent des couples d’oiseaux perchés sur des guirlandes fleuries et des bouquets, désignent le travail de Joseph-Benoît Richard. Dès 1780, Étienne Pernon, le père de Camille Pernon avec lequel il est associé à cette date, précise bien que Joseph-Benoît Richard est le seul capable de livrer des velours chinés d'une telle complexité. Le nombre des chineurs était alors très limité à Lyon (L'indicateur alphabétique de Lyon en 1788 n'en mentionne que six, Richard aîné et Richard cadet, tous deux établis quai de Retz, Bourdelin, Brochet, Dumont, aussi quai de Retz, et Dumas, rue Grolée). Dès la fin des années 1760, les frères Richard avaient établi à Lyon un commerce d'étoffes, spécialisé dans le chinage, quai de Retz. Joseph-Benoît (ou Benoît) Richard, dit « Richard aîné », est même considéré comme « l'inventeur du chinage » à Lyon. On lit, sous la plume de Jean-Antoine-François Ozanam, dans l'étude intitulée « Origine de la soie et des étoffes fabriquées avec cette matière » publiée dans La Revue du Lyonnais en 1836 : « En 1776, le S(ieu)r Richard, habile fabricant de notre ville, ayant reçu de l'Inde des taffetas chinés par impression, conçut l'idée de les imiter par un autre procédé qu'il inventa et ce nouveau genre d'étoffes eut une grande vogue. Bientôt, on parvint par le même moyen à exécuter des dessins réguliers et même des portraits, non seulement sur le taffetas, mais encore sur le velours. Ce genre tomba au bout de quinze ans. » L'auteur ajoute : « M. Capelin était renommé pour la solidité et la beauté de ses couleurs, surtout pour le bleu. Ce fut lui qui, avec Richard, dont nous avons parlé, trouva le moyen de teindre les chaînes de soie par parties pour fabriquer les étoffes chinées. » Joseph-Benoît Richard était maître-garde de la Communauté des teinturiers en soie, laine, coton et fil, et chineurs, en 1779-1780. Pierre Richard, dit « cadet », ancien grenadier au régiment de Normandie pendant la guerre de Sept Ans (1757), revint à Lyon, sa patrie, en 1767, pour s'occuper de l'important atelier de chinage pour la soie établi quai de Retz. Les connaissances qu'il avait acquises en géométrie et en mécanique lui fournirent les moyens de perfectionner cet art, et bientôt l'atelier fut le plus célèbre de la fabrique lyonnaise. Il se maria en 1770 à Jeanne Gondret. Le couple n'eut qu'un enfant, Clémence Richard, qui, après avoir épousé Jean-Pierre Lortet en 1791, s'est fait connaître comme une célèbre botaniste après la Révolution. Pierre Richard était maître-garde de la Communauté des teinturiers en soie, laine, coton et fil et chineurs en 1790. En 1780, Joseph-Benoît Richard exécute pour le compte de Camille Pernon un velours chiné une aune de large en dix-sept couleurs (inv. MT 24821), qui est retissé en 1785 pour les appartements de Madame Victoire et de Madame Adélaïde à Versailles. Il émigre en Suisse, puis à Berlin où il rétablit son activité grâce au soutien de son réseau maçonnique, après le siège de Lyon en 1793, revient dans sa ville en 1796. Il connaît alors de graves difficultés financières, comme en témoigne une pétition du Bureau consultatif du Commerce présentée au ministre de l'Intérieur Jean-Antoine Chaptal par Camille Pernon lui-même qui le montre « âgé de 75 ans, retiré à la campagne, dévid(ant) la soie pour vivre, et gagn(ant) à peine, en quinze heures de travail, la modique somme de six sous par jour. L'aspect de sa misère étonne et refroidit l'ouvrier tenté d'imaginer et de produire. » Le 4 pluviôse an X, Jean-Antoine Chaptal, après avoir assisté à une séance de l'Athénée, à Lyon, visite quelques manufactures. Il se rend notamment « dans l'atelier du cit(oyen) Lasalle, il combla d'éloges et de marques d'affection ce respectable vieillard, encore plein de feu, de génie et de sensibilité. Sur le vœu du Bureau consultatif de commerce, il accorda une gratification annuelle de 600 fr(ancs) au cit(oyen) Benoît Richard, inventeur de l'art de chiner les étoffes. » Peu de temps après, il est sollicité à nouveau par Camille Pernon pour chiner, notamment, l’exceptionnel meuble de velours du Salon des Ambassadeurs du Palais de Saint-Cloud, dont le musée des Tissus conserve une laize (inv. MT24808.1 ), une bordure douze pouces (inv. MT 24808.2) et la mise en carte (inv. MT 40478). Joseph-Benoît Richard est connu pour avoir réalisé plusieurs prouesses en matière de chinage, dont le musée des Tissus conserve les exemplaires les plus remarquables, qui appartiennent pour l'essentiel aux années de la Révolution et du Directoire (inv. MT 10127, MT 1148, MT 1149, MT 2161, MT 34274.1 et MT 34274.4) puis du Consulat et de l'Empire (inv. MT 27234, MT 34255). Maximilien Durand